Cette Louyse ! Heu... CE Louyse ! Un sacré tas d'embrouilles ambulant, moi je vous le dis ! Je l'ai rencontré il y a un mois près du phare de Comodo. La nuit allait tomber et j'allumais un feu pour mon bivouac du soir... Ouais, c'est ça, je chasse pour les peaux... une drôle de vie, c'est vrai. On en rencontre, des gens bizarres, nous autres... mais là !
J'étais seul, et pfouh, soudain elle était à côté de moi. Heu, il était, je veux dire. Rhôô, mais c'est agaçant à la fin, quelle idée de porter un nom de fille, un type comme ça en plus ! Tout fin de corps et de visage, un jeunot sans un poil au menton, habillé comme un minet...
Bon, où j'en étais ? Ah, oui, le type était à côté de moi. Sortait de nulle part. Moi, méfiant, je me dis : si ce type peut apparaître d'un coup, il peut sans doute disparaître d'un coup, et avec ma bourse si ça l'amuse ! Alors je jette un oeil sur mes sacoches, et le type, l'avait même pas dit bonjour, hé ! Dans ces coins déserts c'est pourtant l'usage.
Ce type me jette comme ça : "Je n'en ai pas après ton argent, étranger. Dis-moi plutôt si tu as entendu parler d'une entrée secrète dans ces ruines." Sur un ton ! Je suis pas un cul-blanc, pourtant ! J'étais glacé. Pouvais à peine causer. Dans un filet de voix, j'ai balbutié que je voyais pas ce qu'il voulait dire, et puis que c'était pas des façons honnêtes de s'approcher des gens.
Il a ri. Il a éclaté de rire ! Un rire clair, léger, et en même temps comme qui dirait métallique, enfin c'est difficile à décrire, mais quand on a entendu ça, on peut pas l'oublier. Moi, j'étais vexé, vous pensez. D'abord il me fiche la trouille, et ensuite il rit. Et toujours pas un bonsoir, rien.
Il est resté là, sans rien dire, pendant que j'allumais mon feu. C'était pénible ! J'étais si nerveux que j'ai dû m'y reprendre à deux fois. Enfin, comme il ne faisait pas mine de partir, je me suis résigné à sa compagnie; Oh, je me suis pas aplati, non plus. Hors de question de le laisser s'asseoir près de moi sans même savoir son nom.
-Je ne partage pas mon souper avec des gens dont je ne connais pas le nom, que je lui dis.
-Louyse, pour vous servir ! Qu'il me répond du tac au tac, avec une espèce de sourire un peu moqueur, un peu menaçant.
Et qu'est-ce que vous vouliez que je fasse ! Chasser quelqu'un de son bivouac, par là-bas, ça ne se fait pas, et puis c'est encore plus dangereux : il peut revenir pendant la nuit, furieux, et vous faire avaler votre bulletin de naissance !
Fallait bien que je fasse avec. Vous pensez si j'ai oublié mes prières, ce soir-là ! Tout le temps que j'ai rendu grâce à Saint Hubert, et demandé la protection de Saint Antoine, et louangé, il a reniflé avec mépris. Mais c'était ça ou rien : mes prières, c'est sacré !
J'ai partagé mon repas avec lui, mais pas d'une façon très chrétienne : je me servais d'abord, je lui passais le reste ensuite. Je n'aurais pas voulu toucher à ce qu'il avait touché : le drôle puait jusqu'aux étoiles, et quand il se grattait, sa vermine sautait tout autour de lui !
Voilà qu'il me demande encore si je n'avais pas vu sa maudite entrée secrète. J'avais entendu parler d'un repaire de brigands, un peu plus loin au nord, mais je n'avais pas la moindre envie de l'aider à les rejoindre... pour me faire attaquer sitôt après, merci bien !
-Demain il fera jour, je réponds. Vous aurez bien le temps...
-Il fera jour, dites-vous ? En êtes-vous bien certain ?
Le ton ne laissait plus aucun doute. Il me menaçait franchement !
-Hé! Doucement, l'ami ! Ce n'est pas ainsi qu'on remercie pour un repas, par ici !
-Remercier ? Sans vos sottes cachoteries, j'aurais soupé là-bas, et du meilleur !
J'ai commencé à me dire, c'est pas possible, il lit dans mes pensées; alors comme ça tournait au vinaigre, j'ai lâché, pour le calmer :
-Vous voulez p'tête parler de ce fameux repaire de brigands, plus au nord ? Si c'est là, vous feriez mieux de pas vous y aventurer, on peut pas leur faire confiance, à ces gens-là. Vont vous rosser ou pire, et garder vot' bien.
Me tutoyant brutalement, il s'écrie :
-Tu vois bien, que tu me faisais des cachoteries ! Impudent ! Je vais te faire rentrer ces mots dans la gorge !
Après j'ai rien compris à ce qu'il se passait. Il était là ? plus là. Devant moi ? dix pas plus loin. Pas le temps de dire ouf, qu'il m'avait assommé et ligoté.
-Tu as bien du mépris pour ceux dont tu parles ! Apprends à mieux les connaître, mon gaillard, et tu éviteras quelques mésaventures ! Et sur ces mots il prend un gourdin qu'il avait sous son manteau, et se met à me cogner ! Ouille, aie, je crie, je supplie, mais rien n'y fait. Il m'a battu comme plâtre et laissé à terre, ligoté, au milieu de la lande déserte ! Et bien sûr, il a pris ma bourse, pour finir.
Voilà ce que c'est que ce Louyse, voyez-vous. Gardez-vous de l'approcher ou de le laisser approcher, gardez-vous bien de lui !